Jeudi 9 mai
Jour J . Nous levons l'ancre dans la matinée , fin prêts pour 3 semaines de mer en compagnie de Losadama . Nous longeons la cote sud de Grande Terre , au moteur car pas de vent . La mer est plate comme une planche à pain . Dès que nous quittons la protection des reliefs pour prendre cap au nord , nous attrapons le vent … et la houle ! Et là , nous entendons un raffut du diable dans le coqueron . Simon ne tarde pas a identifier le bruit : la chape du vérin de pilote fait des siennes . Peut-elle tenir durant 3 semaines ? Si ce n'est pas le cas , cela veut dire 3 semaines de barre . Comme nous ne sommes qu'à 6 heures de Pointe a Pitre , nous faisons demi-tour .
Arrivée à 22h , nous nous couchons et aviserons demain matin .
Vendredi 10 mai
Les copains des copains se mobilisent pour nous trouver la pièce de rechange . Pendant ce temps , Simon change le coinceur de ris n°2 qui rend l’âme , et tente de trouver une solution pour réparer la pièce du pilote au cas ou nos copain ne la trouvent pas . Ce qui , à la fin de la journée , s’avère être le cas : en quelques heures et beaucoup de gros mots il répare la piece.
Samedi 11 mai
C'est reparti , mais étant abonnés aux faux départs , nous commençons à avoir l'habitude . Nous espérons juste que ce contretemps n'aura pas trop de conséquences sur notre nav par rapport à la météo . En effet , Losadama a pris , pour éviter les deps , un routeur . Il va devoir revoir la route prévue .
Autre grand moment du jour , Camille fête ses 15 ans . Elle a droit à un chant enjoué de Losadama par VHF et des crêpes en guise de gâteau d'anniversaire .
Cette fois , nous nous arrachons littéralement du sud en tirant de bords . Entre la Guadeloupe et la Désirade le canal est agité , le vent monte un peu . Camille commence à avoir le mal de mer . Elle a oublié de prendre ses gouttes hier , et en les prenant seulement maintenant , il faudra attendre 24h pour que cela soit efficace a 100% .
Je commence aussi à avoir des nausées , mais je décide de ne pas prendre de gouttes car il en reste très peu et je préfère les laisser aux filles .
Je m'allonge dans le carré pour me soulager et essaye d'identifier les bruits du bateau en nav , sons que j'avais fini par oublier . Je les reconnais sans problème donc tout va bien .
Dimanche 12 mai
Camille va de mieux en mieux . Quant à mon état , il empire . J'ai rendu mon petit café du matin , moi qui adore ma pause café-clope-mots croisés , à condition que l'on ne vienne pas me déranger , sinon je deviens enragée ! J'ai donc vomi une bonne partie de la journée , le mal de mer met KO , je ne vaut déjà plus grand chose après 24h de nav . Simon est inquiet pour les semaines à venir , on espère que je vais rapidement m'amariner . Le soir , comatant sur ma bannette bâbord , je trouve toutefois l’énergie nécessaire pour occire une petite blatte qui court sur le plafond du carré .
Lundi 13 mai
Le vent est fort et la mer est dégueu .
Camille n'a plus le mal de mer , son cas est réglé . Le mien devrait l’être d'ici demain car je sens que je vais un peu mieux mais j'ai tout de même du mal à me nourrir . J'avale deux petit gâteaux salés toutes les quatre heures , parfois je les digères , parfois non … Morgane commence elle aussi à être malade , et bien ! Un qui ne perd pas l’appétit , c'est Simon ! Il engouffre quelque soit le temps , l'heure et le moral qui n'est pourtant pas au plus haut , constatant que ses équipières féminines tombent comme des mouches les unes après les autres . Il veut faire demi tour pensant que nous ne tiendrons pas le coup . Je suis convaincue du contraire et refuse de rebrousser chemin .
Heureusement , Clochette assure !
Mardi 14 mai
Pour preuve que Camille va bien , elle s'est remise à bâfrer comme son père ! Morgane a encore la tête dans la bassine à vomi , mais je constate une légère amélioration . Elle supporte les aliments secs : pain et biscuits . Pour ma part je reprends du poil de la bête mais je resterai nauséeuse tout au long de la traversée . J'assume toutefois les manœuvres et mes quarts , quelques préparations de repas lorsque la mer n'est pas trop agitée et que par conséquent mon estomac cesse de faire du yoyo pendant quelques heures .
Aujourd'hui la houle et le vent ont commencé à diminuer un peu mais nous gardons le foc pour garder le cap puisque nous sommes au près .
Pour notre plus grande joie radio Losadama a recommencé à émettre avec entre autre “ daurade futée » qui nous donne la météo à 3 jours .
Le moral remonte doucement .
Vacation " veucheufeu"
Mercredi 15 mai
Encore une nuit ventée et houleuse mais dans la journée le vent tombe progressivement . Simon peut enfin se reposer . Morgane est rétablie , d’ailleurs elle envisage de nous faire un gâteau au chocolat dans les jours prochains .
Moment magique du jour : une nuée de dauphins vient jouer autour de nous .
Jeudi 16 mai
La nuit a été bien plus calme , nous avons pu prendre un vrai repos , genre dormir 3 heures d'affilée !
La houle s'est lissée , on peut se déplacer à bord sans se cogner partout . D'ailleurs pour le dîner j'ai préparé une quiche aux patates , lard , fromage de chèvre et emmental . Ça au moins , ça tient au ventre !
Il fait un grand soleil , c'est agréable , mais la température commence à descendre .
Les lignes sont à l'eau mais jusqu'à présent nous n'avons remonté que des algues . Clochette a eu plus de chance que nous , cette nuit elle a trouvé un exocet ( poisson volant ) sur le pont , elle l'a ramené en douce dans le carré et l'a consciencieusement dépiauté sur le sol .
Vendredi 17 mai
Même météo que la veille , même allure , même vitesse de croisière , nous montons doucement mais sûrement . Ce matin , Losadama est venu nous faire un petit coucou , nous avons en même temps pris livraison de quelques kilos de thon rouge pêché par Olivier . A midi , tout le monde s'est régalé , même les chats .
Samedi 18 mai
Pétole sous une tempête de ciel bleu . Nous en profitons pour faire du petit bricolage à bord , de la cuisine un peu plus élaborée aussi car nous ne savons pas ce qui nous attend dans une semaine , autant savourer ces instants tant que nous le pouvons . Camille s'est remise à dessiner , elle mange toujours autant , c'est un gouffre ! Morgane est un peu plus modérée et moi j'ai toujours l'estomac un peu en vrac .
Dimanche 19 mai
Nous avons passé toute la nuit au moteur , je n'ai pas très bien dormi . En milieu de matinée Losadama s'est rapproché de nous . La mer étant d'huile les capitaines ont décidé que Show tirerait Losadama avec une aussière d'une vingtaine de mètres . Nous gardons la grand voile haute et avançons à 1,5 nœuds environs . Nous mettons les annexes à l'eau , nous plongeons et nageons d'un bateau à l'autre par 3000 mètres de fond , nous nous savonnons et lavons nos cheveux et pour midi , apéro bouffe tous ensemble sur Show . Le panard !
Simon profite de l'accalmie pour remplir notre vache à eau de 200 litres avec les bidons arrimés sur le pont . Nous n'avons pas consommé énormément mais ce sont toujours des poids en moins dans les hauts .
Lundi 20 mai
Encore une nuit au moteur , elle a été très calme , cela n'a pas empêché Simon de se prendre la VHF portable sur la figure . Nous sommes à égalité : Fanou : 1 orteil cassé ( pendant la nav Antigua - Guadeloupe ) ; Simon : 1 arcade sourcilière ouverte . Merci les steril-strip .
Pour la troisième journée consécutive , nous mangeons du thon . Alors ce soir c'est quiche Lorraine !
Mardi 21 mai
Nuit très courte et sportive . La pétole est terminée , place au vent , Éole s’énerve . Nous avons de nouveau hissé le foc , et dès que cela a été fait , nous avons commencé à entendre un bruit métallique inhabituel , fréquent et qui finit par être assourdissant puisque nous faisons une fixette . Nous cherchons durant une bonne partie de la nuit d'où cela peut venir . Simon et Olivier émettent différentes hypothèses , aucune ne s’avère juste .
Du coup la journée est physiquement difficile même si le temps s'est apaisé . En début d’après-midi , Simon monte au mat vérifier la fixation de l'étai largable . Car depuis que nous avons affalé le foc et hissé le génois , le bruit a disparu . Il n'y a rien d'anormal là-haut .
Simon a dormi une heure par-ci , une heure par-là . Quant à moi , je me suis endormie que sur les coups de 16h pour être agréablement réveillée une heure plus tard par une succulente odeur de chocolat fondu : Morgane s'est mise aux fourneaux , on va s'en mettre plein la panse .
Mercredi 22 mai
Nuit calme , vent faible .
Cet après-midi nous tentons d'envoyer le spi . C'est la première fois , et je n'aime pas ce genre de première fois . Olivier nous guide par VHF . Après avoir amuré , placé les écoutes et hissé la chaussette , nous tentons de toutes nos forces de relever la chaussette . Non seulement il y a un nœud quelque part , mais en plus l'anneau à la base est si étroit que l'épaisseur de la toile l’empêche de monter . Je me pends carrément à la drisse pour une dernière tentative , Simon vient à ma rescousse , mais rien à faire . Après avoir lâché un chapelet de mots orduriers , nous abandonnons . Nous tangonnerons le génois si nécessaire .
Nous avançons nos montres de 2 heures car les Açores sont UTC. Dans quelques jours nous les avancerons encore de 2 heures . Ainsi , une fois à Faial , nous ne serons pas perturbés dans notre sommeil et nos repas par le décalage horaire .
Nous avons fait environ la moitié de la route . Et toujours rien au bout de la ligne .
Jeudi 23 mai
Bon anniversaire frérot et belle-sœur !
Rien de bien particulier à signaler si ce n'est que nous avons de nouveau hissé le foc . Olivier a trouvé d’où provenait le bruit : La fixation de l'étai au mat . Le génois ne créant plus de tension , l'étai se ramollit , un peu comme une nouille cuite . Nous avons donc tendu les écoutes aux taquets de pont puis remis un tour d'enrouleur pour bien le raidir . Résultat : plus de bruit ! Merci au capitaine des nous z'autres !
Nous sommes à environ 1000 miles des Açores , une dépression assez creuse passe sur l'ouest nous dit Olivier , ce qui nous amène du vent .
Vendredi 24 mai
Quelques jours avant de quitter la Guadeloupe , un avis a été lancé à tous les bateaux . Le voilier « Grain de Soleil » ayant effectué la transat retour a déclenché sa balise de détresse à 500 miles au sud-ouest des Açores .
Hier , un super-tanker aurait repéré une lumière clignotante correspondant à un flash de détresse de bib ( radeau de survie ) à 300 miles en avant de notre position .
Olivier nous appelle par VHF pour nous donner ces dernières infos , nous demandant si nous voulons bien nous dérouter légèrement pour quadriller un périmètre défini par Michel ( le routeur ) . Nous acceptons sans hésitation aucune , nous serons sur zone dans 3 jours .
Simon nous prépare des saucisses-lentilles qui nous réchauffent de l’intérieur . Les parkas et couettes sont sorties pour la première fois depuis 2 ans .
Samedi 25 mai
Le vent s'est bien levé , des pointes à 28 nœuds , la houle est courte ( 5 secondes ) , 2 m environ . Nous sommes à 2 jours de la zone de recherche , nous commençons à nous poser des questions . Nous pensons que cela tiendrait du miracle si nous apercevions le bib . Ceci dit , cela n'entame en rien notre résolution . Simon qui a été pompier volontaire plusieurs années nous donne les consignes et la conduite à tenir selon ce que nous allons trouver , si nous trouvons . Car la question que nous nous posons , c'est qu'allons-nous trouver précisément ? En prévision nous réduisons nos doses d'aliments et d'eau . De toute façon , il se peut que nous soyons obligés de nous rationner : je ne sais pas comment j'ai fait mon avitaillement , mais j'ai vu trop juste . Si nous pouvions prendre un poisson !
Par contre , j'ai vu tres large en farine , a defaut de viande ou legumes , on mangera du pain maison !
Dimanche 26 mai
Depuis hier , nous avons commencé à veiller , nous scrutons la surface de l'eau et l'horizon car nous nous rapprochons de la zone de recherche .
La mauvaise nouvelle du jour : notre vache de 200 litres fuit . On ne peut rien faire pour la réparer car se sont les coutures qui se décollent . Nous avons presque 100 litres qui se promènent dans les fonds , et comme nous sommes à la gîte , nous ne pouvons pas l’évacuer par la pompe . Ce qui explique aussi cette eau que nous avions trouvé dans la salle de bain en début de transat .
Lundi 27 mai
La houle s'est lissée, ce qui facilite le repérage éventuel d'un bib , de jour comme de nuit .
Une nuée de dauphins vient jouer près de nous , il ont le ventre tout blanc , il y a même des tout petits . On serait presque tenté de plonger avec eux si la mer n’était pas si froide et agitée !
Mardi 28 mai
Nous ne réussissons pas a nous rendre sur la zone de recherche , les vents ne sont plus favorables . Michel nous apprend que d'autres bateaux arrivent à remonter sur le secteur . Il nous attribue une autre zone , plus au nord qui est sur notre route pour rejoindre les Açores .
Nous faisons le point de ce qui nous reste en nourriture . C'est de plus en plus limite .
Simon est très fatigué , moi aussi : j'ai fait un quart de 4h30 pour pouvoir le laisser dormir . Après cela , je n'arrive pas à m'endormir . J'ai trop sollicité mes nerfs pour me garder éveillée cette nuit .
Simon voit 3 énormes tortues .
Mercredi 29 mai
Nous virons 2 fois de bord dans la nuit . Toujours pas de bib à l'horizon .
Au matin , nous avons une prise . Un magnifique thon rouge d'une vingtaine de kilos . Simon bataille dur pour le remonter à bord . J'imagine à l'avance comment je vais l’accommoder .
La journée se passe calmement , nous lisons , regardons un film sur le pc , faisons des mots croisés ou dormons lorsque nous y arrivons .
Au niveau des quarts , nous sommes bien rodés . Camille prend de 21h à 23h ; Morgane de 23h à 1h ; Moi de 1h à 3h , mais ces derniers temps , j'allonge un peu mon quart d'1 à 2h selon mon état de fatigue pour que Simon ait une bonne dose de sommeil . Cela me permet de voir le jour se lever , je me prépare un thé brûlant pour me réchauffer et j'engloutis une biscotte de nutella , denrée qui ne fait pas défaut à bord !
Jeudi 30 mai
Nous nous éloignons inexorablement de la zone de recherche . Nous continuons à veiller et nous pensons à chaque instant à ces 3 jeunes dans leur radeau et à leurs familles qui gardent espoir .
Nous mangeons du thon à tous les repas , les chats aussi . Clochette ne l'aime que cuit , Crampon cru .
Nous devrions toucher les Açores d'ici 2 à 3 jours , il est temps , il y a pénurie de binouze !Heureusement il reste du rhum pour Simon .
Vendredi 31 mai
Nous sommes à 220 miles des Açores . Je commence à être fébrile , à penser à nos retrouvailles avec nos amis de Djenah , Serge et Didine qui sont depuis 3 ans résidents de Faial .
Depuis 2 jours nous nous faisons doubler par des voiliers , ce sont de grosses unités puisqu'ils nous passent devant sans vergogne !
Samedi 1 juin
Olivier nous appelle par VHF pour nous apprendre qu'il n'a quasiment plus de gaz . Nous organisons alors une livraison à domicile , puisque nous nous n'en manquons pas .
Olivier se place sur notre arrière pendant que Simon met l'annexe à l'eau . La bouteille est mise dedans avec , nous scotchons dessus un livre et un petit mot de Camille pour Audrey .
Nous donnons du mou à l'amarre pour qu'elle rejoigne Losadama . Virginie est sur le pont avec sa gaffe pour attraper la bouteille , c'est finalement Olivier qui tirera le gros lot . Nous ramenons l'annexe et la refixons sur la plate forme , finger in the nose !
Pour fêter ça , Morgane nous fait un autre gâteau au chocolat . On espère que cette nuit de nav qui approche et censée être la dernière sera aussi calme que la précédente .
Non non non , ce n'est pas une bombe !
Samedi 2 juin
Nous devons arriver aujourd'hui . Je rêve d'une douche et d'un steak-frites . Ou peut-être le contraire . Ras le bol du thon .
A 8 heure du matin , la petite voix d'Audrey qui appelle Simon à la VHF me réveille : « Simon , c'est pas Faial qu'on voit là bas ? » . Je sort de ma bannette et passe la tête dehors :
TERRE !
Nous arrivons à Horta à 16h . Nous appelons nos parents pour les avertir de notre arrivée , nous nous lavons , dînons et dormons . Pour le steak-frites , on verra demain .